Julia Chican Vernin, restauratrice :
« Les clients ne viennent pas par conscience écologique, mais parce qu’ils ont envie de se faire plaisir sans se ruiner »
Article publié dans Le Monde. Par Camille Labro.
A la tête de deux tables végétariennes, Maslow et Fellows, à Paris, Julia Chican Vernin défend une cuisine aussi gourmande que bas-carbone, en réduisant les emballages et en se fournissant auprès de producteurs qui régénèrent les sols.
« A 5 ans, je voulais être cuisinière. La nourriture a toujours été mon hobby de prédilection. Je pensais que tous les enfants étaient pareils, mais j’ai peu à peu compris que je nourrissais une obsession toute particulière pour le domaine. A 8 ans, je préparais le petit déjeuner pour mes parents, à 10 ans, je dévorais des livres de recettes, à 15 ans, j’étais devenue le commis de ma mère, qui cuisine très bien et invitait souvent des amis le week-end.
J’y consacrais mes samedis soir au lieu de sortir avec mes potes. Ma mère se mettait une sacrée pression quand elle recevait, comme si nous étions dans un restaurant gastronomique ! J’accueillais les convives, j’aidais à dresser les assiettes, je faisais le service. A la fin du dîner, une fois les invités partis, on débriefait, ce qui avait bien fonctionné, ce qui avait plu, ce qui était à améliorer. Je me couchais épuisée et satisfaite, j’avais bien mérité ma journée, j’avais rendu les gens heureux. C’est un sentiment que j’ai toujours adoré.
J’ai fait une école de commerce et aussitôt diplômée je me suis orientée vers mon secteur favori. En 2005, j’ai commencé à travailler pour Flam’s, une chaîne alsacienne de restaurants qui proposent des tartes flambées, ou flammekueches, à volonté. J’y ai énormément appris sur tout l’aspect business, on a développé de nouveaux concepts, des pâtes à emporter, des franchises à l’étranger. Avec cette équipe, j’ai appris à être efficace, carrée. Un restaurant, c’est une entreprise, ce qu’on ne nous enseigne pas forcément en CAP cuisine !
Comme payer ses impôts
J’ai passé huit ans chez Flam’s, avant de tenter de développer mon appli de gastronomie touristique – qui a fait un flop. J’ai ensuite rejoint la start-up FoodChéri, alors en projet. L’idée était de livrer des bons plats, cuisinés avec des valeurs engagées… C’était passionnant, jusqu’à ce qu’on se fasse racheter par Sodexo. J’ai alors décidé de me lancer dans la restauration et de créer mon restaurant, Maslow. Ma mission : montrer que l’on peut faire ce métier de façon plus durable, écoresponsable, tout en attirant plein de clients et en faisant du chiffre.
C’est ainsi qu’on peut vraiment avoir de l’impact ! On a pris le cahier des charges d’un restaurant, et on s’est demandé, à chaque ligne, « comment peut-on faire mieux ? » pour baisser drastiquement notre empreinte carbone. Le menu est 100 % végétarien, c’est notre premier paramètre de travail, on a réduit les emballages, les dépenses énergétiques, on se fournit auprès de producteurs qui régénèrent les sols, on fait nos liqueurs et boissons soft nous-mêmes.
Pour moi, réduire son bilan carbone c’est comme payer ses impôts : c’est la base du business. On ne communique pas dessus. Les clients ne viennent pas par conscience écologique, mais parce qu’ils ont envie de se faire plaisir sans se ruiner : ils partagent des gros champignons katsu (panés), des carpaccios de chou-rave au pralin de cajou, des gnocchis romesco ou des salades de fenouil ultra-gourmandes. Ils s’amusent, se régalent, ils n’ont plus peur. Certains ne sauront même jamais qu’ils ont mangé végé. »
Maslow, 14, quai de la Mégisserie, Paris 1er.
Fellows, 84, rue du Faubourg-Saint-Denis, Paris 10e.
